Rédigé par Mario Desallais, Armelle Lajeunesse et Lise Bartholus le 15/04/2021
Qu'est-ce que c'est ?
Les néonicotinoïdes sont une classe d’insecticides utilisée comme protection pour les cultures (plantes comme élevages) contre les insectes nuisibles. En effet, ces substances agissent sur le système nerveux des insectes en se liant aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, bloquant les influx nerveux et induisant ainsi la mort par paralysie.
Ils ont été pensés et produits dès les années 1980 en s’inspirant de l’effet insecticide de la nicotine, alors déjà connu depuis longtemps par les groupes industriels BAYER et BASF. Depuis lors, leur utilisation a connu une croissance énorme en raison de leur efficacité notoire. Mais en parallèle, de nombreuses voix, notamment scientifiques, se sont élevées contre l’utilisation de ces insecticides pour les dégâts causés sur la biodiversité, en particulier sur les pollinisateurs.
Qu'en dit la science ?
Un certain nombre de scientifiques du monde entier se sont associés sous le nom de "The Task Force on Systemic Pesticides (TFSP)" pour travailler ensemble et alerter contre les effets des pesticides sur les écosystèmes et sur la biodiversité. [1] Leur objectif est de mener des études scientifiques sur leurs effets afin de prévenir et d’informer objectivement les grands décideurs des politiques agricoles. En 2015, sous l'impulsion de cette Task Force, une méta-analyse nommée "Worldwide Integrated Assessment" est sortie dans la revue Springer. Co-publiée par 29 chercheurs et compilant les résultats de plus de 1100 études sur les pesticides sur 5 ans, cette étude conclut sur les dangers avérés des néonicotinoïdes sur un grand nombre de taxons, même aux doses réglementaires prévues à l'époque. Ils pointent particulièrement les effets néfastes sur les espèces non-cibles mais aussi la persistance des molécules toxiques dans les écosystèmes ainsi que les lacunes et le manque de recul que nous avons sur l'ampleur réelle des risques liés à l'utilisation de ces produits. [2] Par exemple, cette persistance des molécules dans les sols et leur solubilité dans l’eau induisent leur lessivage, résultant par un impact sur les écosystèmes terrestres et aquatiques à différents niveaux des réseaux trophiques.
Le WIA a fait l'objet d'une actualisation en 2021 dans un article nommé "An update of the Worldwide Integrated Assessment on systemic insecticides". Il en ressort que malgré quelques avancées tant dans le domaine de la recherche qu'au niveau des décisions politiques et de la régulation de l'usage des pesticides, beaucoup de questions sont encore sans réponse et la tendance mondiale reste l'utilisation massive de ces produits toxiques. L'un des apports majeurs de cette actualisation est la triste accumulation de données concernant l'impact des néonicotinoïdes sur des taxons autre que les invertébrés, comme les oiseaux, les mammifères ou encore comme les insectes volants, dont la biomasse a décliné de 75% en 27 ans sur des zones protégées en Europe. [3]
Nous vous invitons à lire les conclusions de ce WIA et de leurs actualisations, toutes disponibles en open-source et même traduites en français sur le site de la TFSP (voir sources).
A l’échelle des gouvernances, les décisions sont instables
Des interdictions qui se sont fait attendre
Face aux nombreuses menaces qu'imposent les néonicotinoïdes à la biodiversité et aux écosystèmes, il était devenu indispensable que des mesures soient prises pour limiter leur usage. Depuis 1999, un certain nombre de restrictions ont été établies, mais il aura fallu attendre presque 20 ans pour qu’advienne une interdiction.
Le 27 avril 2018, les représentants des Etats membres de l’Union européenne votent l’interdiction d’utilisation de trois molécules de néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride et thiaméthoxame) à toutes les cultures de plein champ, l’usage sous serre restant le seul autorisé.
Quelques mois plus tard, en France, en application de la loi Biodiversité du 8 août 2016, l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes entre en vigueur. Sont concernées, les 3 substances visées par l’Union Européenne, auxquelles s’ajoutent le thiaclopride et l'acétamipride. La loi prévoyait la possibilité de déroger à cette interdiction jusqu’au 1er juillet 2020. Après cette date, il ne devait plus être possible pour les agriculteurs d'utiliser ces produits ainsi que des semences traitées. [4],[5]
Enfin, sous l’impulsion de la France, la Commission Européenne joint à sa liste de néonicotinoïdes interdits, le thiaclopride, par le rejet de sa demande de renouvellement de mise sur le marché.
En France, la réintroduction provisoire des néonicotinoïdes suscite la controverse
En 2020, les cultures françaises de betteraves sucrières font face à une prolifération de pucerons vecteurs du virus de la jaunisse. Cette maladie, affectant le processus de photosynthèse, provoque des pertes de rendement. Les leaders de la CGB (Confédération Générale des planteurs de Betteraves), soutenus par des représentants de régions, demandent alors le retour des néonicotinoïdes, qui représente, selon eux, la seule solution à court terme pour protéger la filière.
En conséquence, le parlement vote la loi du 14 décembre 2020, autorisant à nouveau une dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes jusqu’au 1er juillet 2023, pour les seules cultures de la betterave sucrière. [6]
Pour contrer la promulgation de la loi, 84 députés ont saisi le Conseil constitutionnel. Ils visaient la censure du texte, notamment au motif qu’il ne respecterait pas un principe de non régression, qui se déduirait de l’article 2 de la Charte de l’environnement, où l’on peut lire: «toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement». Le Conseil constitutionnel n’a pas été de l’avis des parlementaires. Jugeant la loi du gouvernement conforme à la constitution, il l’a validée. [7]
Ainsi, le 5 février 2021, les ministres de la transition écologique et de l’agriculture publient l’arrêté précisant les conditions de la réintroduction. Le texte autorise l'emploi de semences de betteraves traitées avec des produits contenant les substances imidaclopride ou thiamethoxam, pour une durée de cent-vingt jours. Il détaille également les types de cultures qui pourront faire suite à une plantation de betteraves traitées. [8]
Dans le but de faire suspendre l’arrêté, des associations, dont France nature environnement et Générations futures, ont dirigé des recours contre Bayer et Syngenta (détenant les produits commerciaux) auprès des tribunaux administratifs de Lyon et de Toulouse. D’autres organisations, comme Agir pour l’environnement et la Confédération paysanne, se sont, de leur côté, adressées au Conseil d’Etat. Les requérants ont soutenu la non-conformité de l’arrêté au règlement européen, ainsi qu’une violation du principe de précaution, compte tenu de la dangerosité que représentent les néonicotinoïdes pour l’environnement. Le conseil d’Etat a répondu qu'il n’existait pas pour l’heure «d’autres moyens raisonnables» que la réautorisation de ces insecticides pour sauver la filière des betteraves sucrières. Il n’a pas non plus estimé le texte contraire à la constitution ou à la réglementation européenne, et n'a donc pas approuvé la demande d’annulation. [9] Dans un communiqué de presse paru le 9 avril 2021, certaines des ONG qui s’étaient présentées devant les tribunaux administratifs ont annoncé saisir à nouveau le Conseil d’Etat. Estimant que l’utilisation de semences enrobées de néonicotinoïdes constitue une mesure préventive face à un risque potentiel mais pas certain, elles réaffirment que l’arrêté ne serait pas conforme au règlement de l’Union européenne. En effet, celui-ci n’autorise les dérogations “qu'en cas d’urgence pour un usage contrôlé et limité, et lors de l’existence d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables”. [10] Les associations requièrent également du Conseil d’Etat d'attendre le verdict de la Cour de Justice de l’Union européenne “qui doit se prononcer sur les conditions dans lesquelles les États membres peuvent ou non octroyer des dérogations d’urgence”.
En conclusion
Les néonicotinoïdes sont aujourd’hui encore largement sujets à controverses et nombre de leurs dangers ont été constatés et scientifiquement prouvés. Pourtant, ils sont encore utilisés non seulement pour leur "efficacité" contre les ravageurs mais aussi et surtout à des fins économiques, dans un contexte d'accroissement de la population et de populations à nourrir. C’est en ces termes que les géants de l’agro-chimie parviennent à maintenir leur utilisation. C'est pourquoi des voix s’élèvent et nombreuses sont celles qui s’y opposent en mettant en avant leurs effets désastreux sur les écosystèmes et la biodiversité et leur non durabilité.
La France avait en ce sens correctement agi en faveur de l'interdiction de l'usage de certains néonicotinoïdes et nous ne pouvons que déplorer les décisions de l'Etat Français qui ont permis ces dérogations. Bien que cela réponde visiblement à une urgence pour un certain type de culture, cela reste du traitement de court-terme et n'est évidemment pas souhaitable.
Parallèlement, de nombreuses recherches s’axent aujourd’hui autour des alternatives à l’utilisation de tels pesticides. Diverses techniques sont en plein essor : Biocontrôle, permaculture ou encore les OGM. Bien que fortement sujet à débat, cette dernière semble particulièrement prometteuse en conciliant rendement agricole et réduction de l’impact sur l’environnement en limitant l’utilisation de produits pesticides mais aussi l’émission de gaz à effet de serre. [11],[12]
Sources
[3] Bonmatin J-M, Giorio C, Sánchez-Bayo F, Bijleveld van Lexmond M (2021) An update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on systemic insecticides. Environ Sci Pollut Res 28:11709–11715. https://doi.org/10.1007/s11356-021-12853-6
[4] Loi Biodiversité 2016: https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000033016237/
[5] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037270008/
[11] Brookes G, Barfoot P (2018) Environmental impacts of genetically modified (GM) crop use 1996-2016: Impacts on pesticide use and carbon emissions. GM Crops & Food 9:109–139. https://doi.org/10.1080/21645698.2018.1476792
[12] Klümper W, Qaim M (2014) A Meta-Analysis of the Impacts of Genetically Modified Crops. PLOS ONE 9:e111629. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0111629
En complément, une lecture utile : le livre de Stéphane Foucart "Et le monde devint silencieux", publié récemment. Une réflexion utile sur comment les entreprises agrochimiques fabriquent le doute, manipulant la science, les scientifiques et les décideurs autour des pesticides en général et des néonicotinoïdes en particulier.
Nicolas Loeuille