Rédigé par Hugo Dacier le 21/10/2021
Le Muséum National d’Histoire Naturelle lance son tout nouveau rendez-vous annuel « Automne tropical » aux Grandes Serres du Jardin des Plantes jusqu’au 15 novembre. Le thème de cette année porte sur les plantes épiphytes. À cette occasion, on vous présente dans cet article ces plantes si particulières.
Etymologiquement, « épiphyte » désigne une plante qui pousse à la surface d’une autre. Cela peut paraître surprenant et pourtant l’épiphytisme ne concerne pas moins de 29% des espèces de fougères et 10% des autres plantes vasculaires, particulièrement chez les Orchidacées, dont 75% sont épiphytes, et chez les Broméliacées. L’épiphytisme est donc apparu plusieurs fois au cours de l’évolution et les espèces ayant développé cette stratégie n’ont pas de lien de parenté liée à cette caractéristique. Cela explique la très grande diversité des adaptations de ces espèces [1] [3] [7] [9] [11].
Les épiphytes sont très abondantes dans les forêts tropicales humides, également appelées forêts équatoriales, forêts sempervirentes ou forêts ombrophiles. On les retrouve également dans d’autres milieux tels que les forêts tempérées humides ou les forêts tropicales à saison sèche plus marquée [3] [9].
Les épiphytes : qu’est-ce que c’est ?
Une épiphyte est une plante terrestre qui réalise la totalité de son cycle de vie (germination, croissance, reproduction) sur une autre plante mais pas au détriment de celle-ci. On parle de commensalisme. Il s’agit d’un type d’interaction interspécifique qui implique un hôte et un commensal, ce dernier ayant besoin de l’hôte pour survivre. Cette interaction est donc bénéfique pour le commensal : elle améliore sa fitness (survie et reproduction). En revanche, elle est complètement neutre pour l’hôte, c’est-à-dire qu’elle ne lui apporte ou ne lui enlève rien. L’épiphyte n’est donc pas un parasite de son hôte car elle n’est pas nuisible à son développement. Les épiphytes peuvent se retrouver sur n’importe quelle partie de l’hôte, que ce soit le tronc, une branche ou même une feuille. Le support peut donc varier de par sa forme, sa dimension, le type de surface ou même sa composition chimique. Ainsi, les conditions environnementales (accès à l’eau, à la lumière, aux sels minéraux) peuvent être différentes selon le support. Certaines épiphytes manifestent des préférences plus ou moins marquées pour tel ou tel support par rapport à d’autres qui sont plus tolérantes [6] [9] [11].
Ce mode de vie, pour le moins particulier, offre de nombreux avantages. Ces plantes se développent dans des milieux où la couverture végétale est très dense. Croître sur des supports plus élevés leur permet d’avoir une meilleure exposition lumineuse. Elles échappent ainsi à la très forte compétition pour la lumière des plantes du sous-bois. De plus, les plantes épiphytes sont davantage soumises au vent facilitant la dispersion des graines, des spores ou du pollen. Elles sont aussi plus accessibles pour les pollinisateurs [3] [11].
Il faut distinguer l’épiphytisme de l’hémi-épiphytisme. Ce dernier concerne certaines plantes qui ne réalisent que partiellement leur cycle de vie sur une plante hôte. On distingue l’hémi-épiphytisme primaire - la plante germe sur un support, puis établit un contact avec le sol par le développement de longues racines adventives (cas des figuiers étrangleurs) - de l’hémi-épiphytisme secondaire où la plante germe au sol puis effectue sa croissance sur un support avec éventuellement perte du contact avec le sol (communs chez les Aracées comme les philodendrons). Ce dernier cas est similaire aux lianes mais celles-ci gardent le contact avec le sol [1] [10].
Les contraintes de ce mode de vie
La principale contrainte pour les plantes épiphytes est l’accès à l’eau et aux minéraux. Les plantes puisent ces ressources essentielles dans le sol. Cette absence de contact rend ces apports très irréguliers et aléatoires. De plus, se développant en hauteur voire même au niveau de la canopée, elles sont davantage soumises aux conditions desséchantes du vent et du soleil qui accentuent l’évaporation de l’eau par les feuilles. Les contraintes des épiphytes sont donc similaires à des conditions xériques, c’est-à-dire des conditions de sécheresse [1] [3] [9] [11].
Ces plantes ont développé des stratégies leur permettant de survivre, de croître et de se reproduire dans ces conditions bien particulières. Il existe une grande variété d’adaptations reflétant la diversité des milieux et des conditions environnementales dans lesquels ces espèces se développent. Par exemple, l’air s’asséchant avec la hauteur, une épiphyte qui se développe à la canopée est davantage soumise aux conditions desséchantes imposées par la forte exposition au vent et au rayonnement solaire. Elle aura des adaptations différentes d’une épiphyte qui croît dans des strates plus basses [1] [3] [7] [8] [9] [11].
Adaptations mises en place
Régressions anatomiques et morphologiques
Ces épiphytes sont communes dans les milieux très humides où l’eau est toujours disponible voire en excès (base humide des troncs, base des feuilles de palmiers…). Elles présentent généralement des régressions anatomiques et morphologiques. Cette stratégie est très représentée chez les espèces de la famille des Hyménophyllacées [3] [7] [11].
Economiser l'eau
Certaines épiphytes ont développé des stratégies xérophiles, c’est-à-dire adaptées au manque d’eau, que l’on retrouve également chez les plantes des milieux arides ou poussant sur des substrats arides comme les milieux rocailleux. Il existe deux grandes stratégies : la sclérophyllie et la succulence. La sclérophyllie consiste à limiter les pertes d’eau, notamment par la réduction voire l’absence de feuilles (dans ce dernier cas, un autre organe comme la tige effectue la photosynthèse). On retrouve cela chez certaines Orchidacées. À l’inverse, la succulence consiste à stocker de l’eau dans ses tissus. Ce stockage peut se faire dans les feuilles (succulence foliaire) ou la tige (succulence caulinaire). Cette stratégie s’est développée chez certaines Orchidacées, notamment le genre Bulbophyllum. Elle est également répandue chez les Cactacées comme les plantes du genre Rhipsalis. Toutes ces plantes qui ont développé ces stratégies xérophiles se retrouvent notamment dans les forêts tropicales à saison sèche marquée. Pour certaines épiphytes, la saison sèche est nécessaire à la floraison [1] [3] [4] [11].
À gauche, un Bulbophyllum avec la base des feuilles renflées en bulbe. À droite, tiges charnues de Rhipsalis (images libres de droit).
D’autres épiphytes sont capables de récupérer l’eau contenue dans l’air. Dans les forêts tropicales humides, l’humidité est très importante notamment en raison de la forte évapotranspiration des arbres. Par exemple, certaines Orchidacées disposent d’un revêtement sur leurs racines, appelé voile ou vélamen, qui permet de condenser directement l’eau. La plante peut alors récupérer cette eau pour ses besoins [4] [9] [11].
Epiphytes piégeuses d'humus
Certaines épiphytes reconstituent un sol pour y capter les sels minéraux et l’eau dont elles ont besoin. Ces plantes disposent de feuilles en rosette, disposées de sorte à former un creux dans lequel les feuilles mortes et autres débris végétaux s’accumulent. Ces feuilles peuvent également accumuler l’eau. Les feuilles mortes sont alors décomposées par des micro-organismes libérant des minéraux que la plante pourra ensuite récupérer. On parle de « forme citerne ». Cette stratégie est très commune chez les Broméliacées. On peut également citer la fougère nid d’oiseau (Asplenium nidus, famille des Aspleniacées) [3] [5] [9] [11].
D’autres espèces comme les fougères corne de cerf (genre Platycerium) de la famille des Polypodiacées, présentent un dimorphisme foliaire. Certaines feuilles sont photosynthétiques tandis que d’autres deviennent brunes et rigides. Ces dernières se plaquent contre le support et piègent des débris végétaux entraînés par les eaux de ruissellement. La plante peut alors prélever les minéraux dont elle a besoin par la décomposition de ces débris et des feuilles internes les plus âgées [3] [5] [11].
À gauche, Asplenium nidus avec l’accumulation d’humus bien visible (source : Sabine Hennequin). À droite, Fougère corne de cerf (Platycerium) (image libre de droit).
Le cas des plantes myrmécophiles
Ces épiphytes vivent en association symbiotique avec des fourmis. Elles ont développé des organes particuliers et attrayants pour l’installation d’une fourmilière. La plante peut alors récupérer les minéraux dont elle a besoin via la décomposition des excréments et autres déchets laissés par les fourmis. On peut citer le cas d’espèces du genre Tillandsia de la famille des Broméliacées, dont les feuilles enroulées sur elles-mêmes constituent un refuge pour les fourmis, ou les espèces du genre Dischidia de la famille des Apocynacées qui présentent des feuilles modifiées en urne, qui accueillent des fourmis. Dans le genre Myrmecodia (famille des Rubiacées), ce ne sont pas les feuilles qui sont modifiées mais la tige qui est renflée à la base. Cette zone est creusée de nombreuses cavités qui servent d’habitats pour les fourmis. On retrouve également des exemples de myrmécophilie chez certaines espèces de fougères [1] [3] [5] [11].
À gauche, un Dischidia présentant les feuilles modifiées en urne. À droite, un Myrmecodia avec la tige fortement renflée à la base (images libres de droit).
Intégration dans les écosystèmes
En forêt tropicale humide, de nombreux invertébrés et amphibiens passent toute leur vie dans les plantes épiphytes, et ceci pendant plusieurs générations. Ils utilisent l’eau accumulée dans la plante pour boire et pondre leurs œufs. Les épiphytes forment donc des habitats aquatiques pour de nombreuses espèces animales qui y trouvent refuge face aux prédateurs. Ces micro-habitats aquatiques contenus dans une plante sont appelés phytotelmes. Des écosystèmes suspendus se constituent au fil du temps. Ainsi, les épiphytes contribuent à la complexification naturelle des écosystèmes, multipliant l'offre en micro-habitats [2] [11].
De plus, les épiphytes peuvent avoir un impact sur leur arbre support. Plusieurs épiphytes peuvent successivement pousser les unes sur les autres et accumuler de l'eau au point où le support cède sous le poids de l'eau. Cela participe au renouvellement des écosystèmes [11].
En conclusion
Cette grande diversité d’adaptations montre les stratégies uniques qu’ont développées les épiphytes, ou « plantes qui poussent à la surface des autres », pour l’accès à la lumière tout en s’affranchissant du sol. Ces plantes méconnues témoignent d’une histoire évolutive singulière et contribuent de façon déterminante à la richesse biologique des écosystèmes.
Que tu sois passionné·e ou simplement curieux·se, si tu désires en savoir plus au sujet de ces plantes uniques ou les découvrir de tes propres yeux, n’hésite pas à aller faire un tour aux Grandes Serres du Jardin des Plantes, dans le cadre du tout nouveau rendez-vous annuel « Automne tropical » jusqu’au 15 novembre. Tu peux également consulter les deux vidéos de vulgarisation réalisées par le Muséum National d'Histoire Naturelle et présentées par le biologiste et professeur Marc-André Selosse, disponibles ci-dessous.
Sources
[1] Benzing, D. H. (1987). Vascular Epiphytism : Taxonomic Participation and Adaptive Diversity. Annals of the Missouri Botanical Garden, 74(2), 183-204. https://doi.org/10.2307/2399394
[2] Céréghino, R., Leroy, C., Carrias, J.-F., Pelozuelo, L., Ségura, C., Bosc, C., Dejean, A., & Corbara, B. (2011). Ant–plant mutualisms promote functional diversity in phytotelm communities. Functional Ecology, 25(5), 954-963. https://doi.org/10.1111/j.1365-2435.2011.01863.x
[3] Dubuisson, J.-Y., Schneider, H., & Hennequin, S. (2009). Epiphytism in ferns : Diversity and history. Comptes Rendus Biologies, 332(2), 120-128. https://doi.org/10.1016/j.crvi.2008.08.018
[4] Muséum national d’Histoire naturelle. (2021a). D’air et d’eau fraîche | Web-série La nature des plantes. https://www.youtube.com/watch?v=4LD5JZrGnzI
[5] Muséum national d’Histoire naturelle. (2021b). Loin des yeux, loin du sol | Web-série La nature des plantes. https://www.youtube.com/watch?v=EAu26inFCd4
[6] Naranjo, C., Iriondo, J. M., Riofrio, M. L., & Lara-Romero, C. (2019). Evaluating the structure of commensalistic epiphyte–phorophyte networks : A comparative perspective of biotic interactions. AoB PLANTS, 11(2). https://doi.org/10.1093/aobpla/plz011
[7] Nitta, J. H., Watkins Jr, J. E., & Davis, C. C. (2020). Life in the canopy : Community trait assessments reveal substantial functional diversity among fern epiphytes. New Phytologist, 227(6), 1885-1899. https://doi.org/10.1111/nph.16607
[8] Watkins, J. E., & Cardelús, C. (2009). Habitat Differentiation of Ferns in a Lowland Tropical Rain Forest. American Fern Journal, 99(3), 162-175.
[9] Watkins, J. E., & Cardelús, C. L. (2012). Ferns in an Angiosperm World : Cretaceous Radiation into the Epiphytic Niche and Diversification on the Forest Floor. International Journal of Plant Sciences, 173(6), 695-710. https://doi.org/10.1086/665974
[10] Zotz, G. (2013). ‘Hemiepiphyte’ : A confusing term and its history. Annals of Botany, 111(6), 1015-1020. https://doi.org/10.1093/aob/mct085
[11] Zotz, G. (2016). Plants on Plants – The Biology of Vascular Epiphytes. Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-319-39237-0_9
Comments